Je vais faire des jaloux.
Il se trouve que j’ai pu assister à l’apparition ô combien peu commune d’un des grands maîtres de la fantasy anglo-saxonne. Il est vieux, avec une grosse barbe et une chevelure poivre et sel, il ne s’agit pas du Père Noël mais bien de Michael Moorcock.
« Quoi ? Qu’ouie-je ? Qu’entends-je ? » Les fanatiques ont fait un bond sur leur chaise, ont tiré leurs couteaux à beurre du tiroir et menacent de m’ouvrir en deux si je ne m’explique pas !
Bon d’abord, il faudrait raconter à nos lecteurs non initiés qui est Michael Moorcock. Il est tout simplement le papa de nombreuses séries cultes de romans de fantasy publiées dans le monde entier. Les cycles les plus connus sont le fameux Cycle d’Elric ainsi que La Légende de Hawkmoon, écrits dans les années 60 et aujourd’hui encore publiés pour votre plus grand plaisir. (Au passage il a aussi participé à des scénarios de comics et à la compositions de chansons de heavy metal et de rock psychédélique britannique, une vie bien remplie puisque notre bonhomme a aujourd'hui 72 ans)
Mais cela faisait longtemps que Moorcock n’avait pas écrit une nouveauté dans ces cycles. C’est pourquoi l’annonce de la parution d’un nouveau tome du cycle d’Elric co-écrit avec l’auteur français Fabrice Colin à fait son petit effet !
Il faut dire que récemment je pensais pas mal à Moorcock. Déjà parce que son livre Mother London me susurre tous les jours de lui ouvrir les pages et de le lire une bonne fois pour toute, malheureusement pour lui il ne fait pas parti des livres en tête de course pour mes prochaines lectures. Ensuite parce qu’un documentaire (sur le chanteur de Heavy Metal Lemmy Kilmister) avait parlé des performances psychédéliques de Moorcock durant des concerts de rock halluciné dans les années 70. Intriguée, j’avais d’ailleurs cherché à en savoir plus sur ces performances, et effectivement c’est terriblement psychédélique et halluciné, mais c’est bien drôle !
Bref, le nom de Moorcock m’était revenu en tête, et je me disais qu’un jour il faudrait que je finisse de lire le cycle de Hawkmoon.
Un jour, quand j’aurais le temps, l’argent, l’envie. Quand je serais vieille et retraitée et que ma vie sera consacrée à ma bibliothèque remplie de lectures inachevées.
Parce que pour l’instant, c’est juste pas possible.
Mes différentes pérégrinations professionnelles m’ayant fait dériver vers des rayons éloignés, je n’étais donc même pas au courant que Fabrice Colin s’était attelé à un nouveau tome du Cycle d’Elric. C’est mon ancienne collègue Aude qui me l’a dit, tout en m’annonçant nonchalamment qu’elle rencontrait les deux auteurs le mercredi suivant pour un repas d’éditeur.
Ma tête s’étant allongée sur dix pieds de long, je crois que mon étonnement et mon envie ne sont pas passés inaperçus. Aussi m’a-t-elle immédiatement proposé de venir avec elle, ce que je ne me suis pas permise de refuser, parce que franchement des fois faut pas se foutre de la gueule du monde.
J’ai beau dégoiser comme une pie sur ce blog, je n’en suis pas moins un petit être timide et éffarouché. Aussi le jour-J enfin arrivé, alors que j’aurais dû me réjouir du fait que Pocket et Fleuve Noir donnaient de leur poche pour me fournir verrines de lentilles au foie gras et vin blanc, ainsi qu'un exemplaire gratuit du premier et dernier tome du cycle d’Elric, j’avais la terrible appréhension de me retrouver face au géant.
Il est comme il doit être : vieux, barbu et le cheveu blanc, le visage parcheminé de celui qui en a vu des bien belles, avec de petits yeux perçants de vive intelligence.
Et surtout, il est anglais et ne parle pas un mot de français. Diantre, j’avais terriblement envie de faire dédicacer mon livre, comme la horde d’éditeur/libraires/bibliothécaires qui se mettaient en file pour dire un mot à Mikey et Fabrice, quand je me suis rappelée que je détestait les dédicaces pour plusieurs raisons : d’une part parce que avoir marqué Best Wishes plus un gribouilli sur ma page de garde n’a pas des masses de valeur pour moi (les collectionneurs n’en diraient pas autant mais bon), d’autre part parce que quand il s’agit d’un auteur français les mots me restent dans la gorge, mais alors quand il est anglais j’ai tendance à devenir rouge comme un pili pili et les mots me restent dans le fondement. Imaginez-vous arriver devant une figure comme Moorcock et baragouiner un espèce de « Hey-…-Hi-haem…Hello…-haem… I love you... haem I mean I love your work and... haem. Thank you. » C’est pas le top.
J’aurais aimé avoir un super accent anglais et un vocabulaire super « fluently » et faire « Hé salut Mikey, comment ca-va-ti ? La super forme ? Alors comme ça tu sors un nouvel Elric ? Trop top moumouth tape m’en cinq, vas-y check lapin ! »
Non en fait non, non plus. Je n’aurais jamais su quoi lui dire. Je lui aurais bien parlé de ses performances de drogués durant les concerts de Hawkwind, mais le lieu n’était pas approprié. Je lui aurais bien parlé de ce qui l’a poussé à écrire des chansons pour le Blue Oyster Cult, mais ce n’était pas le lieu non plus. Par contre aucune question sur Elric (qu’en plus je n’avais jamais lu), ni même sur Hawkmoon (que j'ai lu) ne me venait en tête. C'était un peu la honte quoi. Donc j'ai laissé mes confrères faire la queue, recueillir un mouvement de tête et un sourire du géant, et j'ai patienté.
Bon, ce n’est pas bien grave, je l'ai aperçu ce grand monsieur. Et puis j’ai assisté au speech hilarant de Fabrice Colin, un auteur français que j’affectionne particulièrement. Et puis je me suis présentée en tant que fraiche libraire accomplie auprès de deux patrons de maisons d’éditions de valeur à mes yeux (La Volte et Folio SF), et puis quand même j’ai mangé des verrines de lentilles au foie gras aux frais des grosses boîtes quoi.
Et puis, un jour je réussirai à passer outre cette timidité et je serrerai la main de Mikey (il a une maison à Belleville ça devrait pas être trop dur de tomber 'par hasard' sur lui non ?^^) et il me dira «Hey my little Guixxx, you've done great things, i’m proud of you ».
Et puis je me réveillerai.